vendredi 15 août 2014


EXTRAIT CARNETS D'UN PROMENEUR MÉLOMANE:

LES NOCES MYSTIQUES D' HILDEGARDE VON BINGEN ET ZAD MOULTAKA

La scène se passe le 25 juin 2014 à l'Auditorium de Bordeaux, à l'issue d'un concert qui rassemblait 350 choristes issus de neuf chœurs amateurs de la région Aquitaine et de trois ensembles professionnels de musique contemporaine : les Bordelais Proxima Centauri, les Marseillais Musicatreize et les Parisiens L’Itinéraire ; on avait donné LEIPSANO, fragments épars de la grande poétesse de l'antiquité grecque Sappho - une dame, bordelaise en diable, s'approche du grand compositeur György Kurtag qui a assisté à l'événement en voisin (lui et sa femme vivent près de Bordeaux ):
  • Très intéressant, n'est-ce pas, Maître?
Glacial Kurtag lui rive son clou :
  • Non pas intéressant, BOULEVERSANT!

Nul doute que s'il avait assisté à la création mondiale de UBI ES, le 13 juillet à la cathédrale Saint Pierre de Saintes. composition de Zad Moultaka autour de l'œuvre d'Hildegarde von Bingen le grand compositeur aurait été étreint par la même émotion.

Les gentes dames de l'ensemble De Caelis et leur directrice artistique, la savante Laurence Brisset, sont chez elles à l'Abbaye aux Dames où elles sont ensemble en résidence depuis mai 2012. Pourtant pour ce programme Jardin Clos bâti autour de chants et polyphonies extraits de la symphonie des harmonies célestes, elles ont choisi la cathédrale pour permettre au chant d'Hildegarde von Bingen de se déployer pleinement dans ses complexes résonances. Ce choix se justifie encore plus pour la commande faite à Zad Moultaka.
Ce dernier a bien vu toute la violence qui habite les textes de l'abbesse rhénane : Le tyran , sous le lourd sommeil de la mort étouffé pour son crime mais les nuages pleurent sur le sang. Il écrit à son propos : «  ...il est étonnant de voir à quel point dans l'espace intérieur et mental de cette femme hors du commun la douceur et la luminosité, la violence et la noirceur se côtoient. Le monde dans lequel elle a évolué était trouble et les résonances avec le nôtre sont multiples. »
Les interventions sont minimales : adjonction d'un ison, note tenue en sourdine dans le chant liturgique oriental, un dispositif électroacoustique discret viennent permettre à la monodie de se déployer en une sublime courbe dont l'élégant élan ascensionnel est fracassé tragiquement par le glas né des coups répétés d'une grosse caisse.
Ubi es, où es-tu ? Le public subjugué, la respiration suspendue habitait ce soir là une grandiose demeure philosophale, un cloître qui malgré certaines arcatures brisées n'avait rien perdu de sa splendeur. Les architectes : deux génies, une abbesse rhénane du XII ème siècle et un compositeur d'origine libanaise contemporain.




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