EXTRAIT CARNETS D'UN PROMENEUR MÉLOMANE:
LES
NOCES MYSTIQUES D' HILDEGARDE VON BINGEN ET ZAD MOULTAKA
La
scène se passe le 25 juin 2014 à l'Auditorium de
Bordeaux, à l'issue d'un concert qui rassemblait 350 choristes
issus de neuf chœurs amateurs de la région Aquitaine et de
trois
ensembles professionnels de musique contemporaine : les Bordelais
Proxima Centauri, les Marseillais Musicatreize et les Parisiens
L’Itinéraire ; on avait donné LEIPSANO, fragments épars de la grande poétesse de l'antiquité
grecque Sappho - une dame, bordelaise en diable, s'approche du grand
compositeur György Kurtag qui a assisté à
l'événement en voisin (lui et sa femme vivent près
de Bordeaux ):
- Très intéressant, n'est-ce pas, Maître?
Glacial
Kurtag lui rive son clou :
- Non pas intéressant, BOULEVERSANT!
Nul
doute que s'il avait assisté à la création
mondiale de UBI ES, le
13 juillet à la cathédrale Saint Pierre de Saintes. composition de Zad Moultaka autour de l'œuvre d'Hildegarde von
Bingen le grand compositeur aurait été étreint
par la même émotion.
Les
gentes dames de l'ensemble De Caelis et leur directrice artistique,
la savante Laurence Brisset, sont chez elles à l'Abbaye aux
Dames où elles sont ensemble
en résidence
depuis mai 2012. Pourtant pour ce programme Jardin Clos bâti
autour de chants et polyphonies extraits de la
symphonie des harmonies célestes, elles ont choisi la
cathédrale pour permettre au chant d'Hildegarde von Bingen de
se déployer pleinement dans ses complexes résonances.
Ce choix se justifie encore plus pour la commande faite à Zad
Moultaka.
Ce
dernier a bien vu toute la violence qui habite les textes de
l'abbesse rhénane : Le
tyran , sous le lourd sommeil de la mort étouffé pour
son crime mais les nuages pleurent sur le sang. Il
écrit à son propos : « ...il est étonnant
de voir à quel point dans l'espace intérieur et mental
de cette femme hors du commun la douceur et la luminosité, la
violence et la noirceur se côtoient. Le monde dans lequel elle
a évolué était trouble et les résonances
avec le nôtre sont multiples. »
Les
interventions sont minimales : adjonction d'un ison,
note
tenue en sourdine dans le chant liturgique oriental, un dispositif
électroacoustique discret viennent
permettre à la monodie de se déployer en une sublime
courbe dont l'élégant élan ascensionnel est
fracassé tragiquement par le glas né des coups répétés
d'une grosse caisse.
Ubi
es, où es-tu ? Le public subjugué, la respiration
suspendue habitait ce soir là une grandiose demeure
philosophale, un cloître qui malgré certaines arcatures
brisées n'avait rien perdu de sa splendeur. Les architectes : deux génies, une abbesse rhénane du XII ème siècle
et un compositeur d'origine libanaise contemporain.
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